11 décembre 2010

Le temps (des Fêtes)

Y'est quelle heure là? Presque 8 heures. Ça commence à être plein pas mal dans le salon, y fait chaud pis ça pue l'eau de cologne cheap.

Tu regardes ton verre d'un air méfiant. C'est rose orangé. Une petite gorgée... Yark, ça goûte la marde, comme à chaque année. Tu fais un petit sourire appréciatif à ta tante Louise, qui n'a vraisemblablement pas compris que de mélanger trop de sortes différentes de jus ne crée pas, comme elle le souhaiterait, un nectar exotique, mais plutôt une mixture digne d'un défi alimentaire dans une initiation universitaire.

Tu te retournes un peu, tu sors ta flasque et rajoutes du rhum. Tant qu'à goûter mauvais, aussi bien que ça saoule, au moins. Comme ça, tu vas peut-être réussir à oublier.

Y'est quelle heure là? À peine 8 heures. Vous avez même pas encore mangé.

Tu hais Noël.

- Kin! Bin si c'est pas le beau Hugo! T'es pas venu avec Mélissa?

- Chut Pierre! Y sont pu ensemble là... C'est pas grave hein, tu le sais que nous autres on t'aime, la famille! La mère des filles est pas morte!

Tu ne réponds pas. Tes joues tirent doucement sur le coin de tes lèvres, et ça doit avoir l'air d'un sourire convaincant parce qu'ils te laissent tranquille.

Étant donné que les flos monopolisent la télévision du sous-sol, tu fais ton deuil de te plugger sur le Nintendo tout le réveillon et tu te trouves plutôt une chaise relativement confortable dans la cuisine vide pour y laisser choir ton mal. Y'est quelle heure là? Encore 8 heures. Tu soupires.

- Ouin, j'te comprends.

Tu sursautes et te retournes : tu n'avais pas remarqué que ta cousine avait adopté la même tactique que toi. Elle est belle, ta cousine. Un peu plus jeune que toi, juste assez, brunette, les pommettes saillantes, les yeux rieurs, la bouche moqueuse. Elle est belle, pour une cousine. Tu la regardes en te demandant pourquoi elle sort systématiquement avec des imbéciles.

Elle change de chaise pour se rapprocher.

- Max m'a laissée la semaine passée.

Tu t'y attendais. Tu ne réponds rien. Tu prends une autre gorgée. Elle fait pareil en grimaçant. Tu échange ton verre avec elle : elle en a plus besoin que toi. Ses sourcils semblent d'ailleurs apprécier ton ingrédient secret. Tu regardes ta montre : il est à peine dépassé 8 heures.

- Tsé Hugo, personnellement, j'l'ai toujours trouvée conne, Mélissa. Sans vouloir t'insulter là.

Tu le sais. Tu le sais tellement. L'an dernier, Mélissa avait mal à la tête. Elle avait passé la soirée à éviter tout le monde, t'entraînant avec elle ''par solidarité'', refusant tout alcool pour ne pas décupler la douleur. Elle t'avait chié dessus parce que tu n'avais pas mis la chemise qu'elle avait choisie, mais avait quand même trouvé le tour de porter un toast à votre amour devant toute ta famille, chose qui t'avait profondément gêné. Le chum d'époque de ta cousine, un joueur de hockey pas mal porté sur la boisson, ne s'était pas gêné pour la reluquer, chaud mort, et lui faire des avances. Le pire : tu avais surpris dans le regard de ta blonde une petite flamme, une fierté, l'effet de la flatterie du sportif. Tu t'étais senti vraiment minable. À la fin de la soirée, tu l'aurais tuée. Mais tu l'aimais. Tu l'aimes encore anyway.

- Mais tsé pourquoi tu sors toujours avec des épaisses?

- Pis toi, pourquoi tu sors toujours avec des gros caves?

Le fin visage de ta cousine se fige alors dans une stupeur magnifique, la bouche un peu ouverte, la langue qui veut sortir, les yeux qui calculent quelle réaction elle doit avoir. Ça vous prenait ça, juste ça pour que monte le rire que tu attendais depuis des semaines, pour que vous pouffiez tous les deux, cogniez vos verres, que tu y rajoutes plus de rhum. Un vrai rire. Les nerfs qui se relâchent, les muscles qui se décrispent.

L'horloge qui recommence à avancer.


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