22 septembre 2010

Papier-cul

Il y a des limites à assumer qu'on est seulement la maîtresse de quelqu'un. Corinne profite donc de l'appel quotidien de la blonde de Jo pour aller aux toilettes. La tentation malsaine d'écouter leur insipide conversation et une forte pression dans les intestins justifient amplement ce retrait stratégique.

Assise sur la bol, le regard fixé sur le rideau de douche corail (couleur qu'elle a toujours détestée et qui est ici magnifiquement assortie à un rack de brosses à dents aux motifs aquatiques, à sa brosse à dent orange, sèche d'un été d'absence), elle entend des bribes d'une vraie vie de couple, celle qu'elle n'aura peut-être jamais. Oui, bin c'est plate pour ta mère, mais au fond, c'est peut-être mieux comme ça. (...) Bah, pas grand-chose là, j'préparais mon cours. Mon cul, ouais...

Ça n'est pas qu'elle éprouve quelque malaise de sa situation : elle passe le plus clair de son temps avec Jo, le sexe est beaucoup trop bon, même si c'est dans le lit de l'autre, et tout le monde sait qu'ils sont ensemble, tout le monde s'en fout bien. Il ne l'aime plus vraiment, sa blonde, au fond. Elle est si loin... Il va sûrement la laisser à son retour à l'automne. Chhhh mon amour, on se voit dans même pas 3 semaines, ça va passer vite! Corinne ne la connaît pas, elle ne l'a jamais vue, sauf sur cette photo affichée bien en vue au-dessus du divan. Leur mariage. Onze mois plus tôt. Un soupçon de presque souvenir. Alors pourquoi se sentirait-elle mal de profiter des parcelles de bonheur qu'elle peut avoir? Hein?

Tel est le fil de sa pensée alors qu'elle éjecte la merde la plus grosse et la plus molle qu'elle ait jamais produite avant, preuves odorantes à l'appui. Moi? Bin non là, j'suis tout seul à la maison, ça doit être le chat que t'entend. Et là, le travail enfin terminé, Corinne s'étire pour prendre du papier-cul mais... Caliss.

Merde.

De la vraie grosse merde.

Non mais pleure pas, mon amour... Moi aussi j't'aime voyons, moi aussi j'm'ennuie, qu'est-ce que tu penses que j'ai à faire ici tout seul tout l'été? J'sais pas, baiser la secrétaire de ton département, peut-être? Corinne regarde autour de la toilette : rien. Elle lève les yeux : papier-cul en vue... sur le haut complètement de l'armoire à serviettes, ses serviettes à elle, à l'autre, endroit facilement atteignable si on mesure plus de 6 pieds ou si on grimpe sur le rebord du bain. Mais pas quand on est une pauvre maîtresse les fesses pleines de caca.

Crotte.

Elle va être obligée d'attendre que Jo raccroche. Ok, encore 5 minutes, mais après faut vraiment que j'te laisse, j'ai une réunion au département. Bouse de vache!

Bin elle a attendu. Dix grosse minutes. Après 50 mamours et quelques mensonges pieux ou peureux, elle a finalement pu crier à Jo qu'elle avait besoin de papier-cul. Pourquoi tu l'as pas dit avant? Elle ne voulait pas que sa blonde entende, elle ne voulait pas le perdre. Elle ne va rien forcer. Il va la laisser bientôt, de toute façon.

Bin elle a attendu. Dix grosses années.


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