2 septembre 2010

Tu rajoutes un titre

C'est à l'heure des fonctionneux que tu sors dans la rue. Tu marches à contre-courant de ceux qui sont bien habillés : toi, t'as les cheveux gras et ton haleine du matin, tu marches pour retourner chez toi. Tu te dis que ce garçon qui te fixe pense sûrement ''walk of shame'', alors t'as envie de lui chanter que t'as juste dormi au frais, t'as dormi au frais. Et c'était encore meilleur que du sexe!

Tu tentes maladroitement de remédier à la situation en te composant un sourire naïf, ou plutôt en modelant le sourire déjà peint sur ton visage pour qu'il semble enfantin, léger. Un sourire comme cette chanson que tu écouteras sur repeat pendant toute la demi-heure qu'il te faut pour rentrer à la maison.

Tu aimes le quartier du haut de la côte parce qu'il y vente, il vente tout plein sous et sur ta robe de gitane, si légère que tu te sens nue, tu marches nue dans les beaux quartiers, le vent caresse ta peau à peine moite, ton dos, tes cuisses, ton ventre; ta robe est ballon, moulante, frivole, gonflée, serrée.

Tu rêvasses et te surprends à narrer ton parcours à la 2e personne, tu aimerais bien que le narrateur d'Amélie Poulain soit là pour le faire à ta place, comme ça tu pourrais te contenter de marcher gaiement sans te soucier de rien. Mais non, tu narres, tu te dis ''je vais l'écrire sur mon blog'', tu narres plein de faits cocasses, mais tu en oublieras au moins la moitié une fois chez toi, devant ton portable. Tu te grondes d'avance. Je devrais tout noter. Tu n'en fais rien, tu jouis : le vent, tsé. Tu en as oublié bien plus que la moitié.

Les rues sont belles, les gens te sourient, tu dois avoir l'air un peu déphasée, mais tu t'en fous. Ton moment préféré, c'est quand tu arrives au haut des marches, là, le vent vente encore plus fort, tu adores, tu t'arrêtes un peu pour regarder le quartier du bas, le quartier sale qui dort encore. Il se réveille bien plus tard. La saleté fait la grasse matinée.

Tu descends les escaliers en croisant ceux qui montent; tu remercie la vie de simplement descendre, le vent sous ta jupe, les fleurs sous les escaliers qui voient tes petites culottes. Ça te fait presque rigoler. Tu sens déjà le chlore du parc du quartier sale, la chute désinfectante, y'a des chips qui flottent mais tu veux quand même tremper tes pieds, tu le fais. C'est presque aussi bon que le vent.

Tu traverses les rues, tu regardes à gauche, à droite, mais toutes les voitures entrent dans un stationnement. À cette heure, personne ne poursuit son chemin, tous finissent par se stationner. Tu es contente d'être maître de ton temps, aujourd'hui, tu médites là-dessus jusqu'au pont, la rue du, la rivière trop basse, le quartier des chats, le garagiste qui vient d'ouvrir la shop et qui tente gentiment, tout doucement, de déloger le matou roux qui se prélasse devant la porte ''enweye minou, tasse-toé... enweye bébé, faut qu'on travaille nous autres là''. La chat sait que l'homme veut pas réellement qu'il parte. Il reste.

Trois rues plus loin, une bonne femme sur une galerie parle à une autre femme avec un carosse, ça jase de famille, ça jase de la vie. Et les chats partout.

Ton bout préféré, c'est le bout de la rue, le sens unique, la quatrième, celle où les arbres sont presque aussi rois que les chats, les façades colorées. Oui.

Tu es de retour dans ton four, dans ton chez-toi. Tu l'aimes. Heureuse : après tout, tu as dormi au frais. Alors bon matin l'appart, même si t'es nouveau, même si t'es fourneau. C'est ton berceau du quartier des chats. Vous vous êtes apprivoisés. Et la chatonne se frôle sur tes jambes pendant que tu lui débarres la porte.


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2 commentaires:

  1. Tu vas vraiment travailler les cheveux gras? T'es vite à l'aise dans un nouveau milieu de travail!

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  2. Contente de lire que t'as bien dormi. Je devrais te lire ici au lieu de t'écrire un courriel...

    Mutti XX

    Ton texte est super!

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